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Un jour parmi les 7000 de La Story Nostalgie

Publié le 11-02-2022 par Brice Depasse - Journaliste - 5 min de lecture

guitare 600

Les années ont passé, les décennies ont filé et pourtant quel n’est pas mon étonnement d’entendre Sting revendiquer cette époque punk au cours de notre interview.

Paris, avril 2019. Tout le monde se retourne sur moi dans le hall de l’hôtel Royal Monceau. On ne doit en effet pas tous les jours croiser dans ce cinq étoiles[1], un type de cinquante piges portant sur le dos une immense guitare basse.

Je ne vais pas raconter à tous ces gens que c’est celle de Sting et que je suis venu la lui faire dédicacer pour le gagnant d’un concours que ma radio[2] organise. Bien sûr, je vais aussi l’interviewer, je suis journaliste, je ne vous l’ai pas dit ?

Dans la suite que la firme de disques a louée à l’étage, l’organisation est celle classique d’une journée de dating. Tout le matériel est déjà installé, vous n’avez qu’à poser vos questions à l’artiste puis prendre la carte SD que le preneur d’images et de son vous remet aussitôt après. Je connais la procédure ; la première fois, c’était vingt ans auparavant à Londres, avec David Bowie dont l’humour qu’il pratiquait en abondance m’avait le plus déstabilisé.

Si avec Sting, on rigole aussi, on dira que la pratique est nettement moins spontanée que chez Bowie. La rencontre n’en est cependant pas moins chargée en émotion. Pour avoir pogoté sur les singles de la première heure du groupe Police que j’ai à l’époque tous achetés au fur et à mesure de leur sortie, me retrouver face à Sting est un rappel éclair de cette époque particulière qu’est la fin de l’adolescence, les premières années de fac, la liberté d’une folle jeunesse qui brûle les nuits à coups de décibels et de fiestas.

Les années ont passé, les décennies ont filé et pourtant quel n’est pas mon étonnement d’entendre Sting revendiquer cette époque punk au cours de notre interview.

  • Non, il n’y aura plus jamais de reformation de Police.
  • Hé, j’ai toujours mes tickets du concert annulé au Sportpaleis il y a dix ans !
  • Et bien, achète le DVD de la tournée, ça vaut mieux.

La basse signée, les photos témoins de cet instant aimablement prises par un membre du staff, je descends les escaliers de l’hôtel que je ne quitte pas avant d’en avoir photographié le bar pour l’envoyer à Michel Polnareff. Ah ben oui, c’est là qu’il a passé près de 800 nuits à la fin des années 80 et qu’il a enregistré Marilou et Kama Sutra. Tous les clients me regardent de travers (j’ai une guitare basse dans le dos, je vous rappelle) mais j’ai reçu un smiley de Michel en retour.

A part ça, un aller-retour Bruxelles-Paris de centre à centre en moins de six heures, métro et interview compris, c’est rapide mais ça laisse un peu de temps pour cogiter, seul dans le TGV. Des souvenirs de cette époque New Wave où on écoutait Police, Bowie et les autres sans imaginer un jour pouvoir leur parler et leur serrer la poigne. OK c’est fun de penser ça mais franchement, qu’est-ce que j’en retire ?

Si je fais la balance entre cet instant fugace et le temps pris pendant des années à les écouter sur cassettes (en râlant pour trouver le bon morceau), sur disque (avec la tête entre les baffles et le son de l’ampli à fond de balle) ou en mode nomade (les earpods bridés sur Spotify), de quel côté vais-je pencher ? Non vraiment, rencontrer ces génies est bien peu de chose par rapport au plaisir qu’ils nous ont procuré à un moment fondateur de notre vie, celui où ils étaient tout pour nous, où on scrutait la pochette du 33 Tours dans ses moindres détails pendant l’écoute.

Ainsi je n’ai jamais rencontré Freddie Mercury et pourtant ce soir de 1978 où je l’ai découvert reste imprimé dans mon être. Mon premier concert de rock : l’arène de Forest National immense et enfumée, la puissance du son dont la moindre note vient me marteler la poitrine, le feu d’artifices de lumières et puis ce chanteur en noir et blanc avec ses longs cheveux[3] et un charisme que je ne retrouverai que trop rarement par la suite. La messe était dite, la cause entendue et ça, je le partage avec des milliers d’autres : la plus belle des rencontres. Comment croire après cela qu’il soit possible de tout raconter en moins de vingt ans ?

 

[1] A deux pas d’une autre étoile, celle formée par les avenues qui se rejoignent à l’arc de Triomphe.
[2]Nostalgie, vous connaissez ?” “Vous venez de Dubaï ? Ah merde !
[3] Cheveux longs, oui, et il ne portait pas de moustache

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